AYITI AN AVAN

 “Quatre ans de requiem, zéro justice”

Ce 7 juillet 2025 marque les quatre ans de l’assassinat de Jovenel Moïse, président haïtien tué dans sa résidence privée à Pèlerin. En ce jour-ci, une cérémonie religieuse a été organisée dans la cour du Palais national. Officiels, membres du clergé et sympathisants du régime défunt se sont réunis sous une grande tente blanche, dans une ambiance lourde, presqu’irréelle.

Image du président Jovenel Moïse lors d'une messe de requiem au Palais National.(Photo publiée par @@PrimatureHT)
Image du président Jovenel Moïse lors d’une messe de requiem au Palais National.(Photo publiée par @@PrimatureHT)

Le ton solennel des chants liturgiques, les discours chargés de références aux promesses inachevées de Jovenel, et les regards graves de ceux qui l’avaient autrefois combattu ont laissé un goût amer dans l’opinion.

Ironie de l’histoire : les anciens adversaires deviennent aujourd’hui les gardiens officiels de sa mémoire.

Justice absente, impunité présente

Malgré une enquête ouverte depuis 2021, aucune condamnation définitive n’a été prononcée à ce jour. Le juge instructeur Walter Voltaire avait pourtant cité plusieurs personnalités de haut rang dans son ordonnance :

Martine Moïse, la veuve du président

Claude Joseph, ancien Premier ministre

Léon Charles, ex-directeur général de la PNH

Reynald Lubérice, ancien secrétaire général du Conseil des ministres

Pourtant, tous ces noms circulent librement.

Des suspects aux États-Unis, d’autres toujours en cavale

Alors que certains suspects ont été extradés vers les États-Unis, des figures clés comme Dimitri Hérard, ancien commandant de l’USGPN, restent introuvables. Hérard, très actif sur YouTube, rejette toute implication directe. Il affirme être un bouc émissaire et questionne :

« Pourquoi suis-je le seul à avoir été enfermé, alors que les hommes présents ce soir-là n’ont jamais été inquiétés ? »

Cette déclaration soulève une cascade d’interrogations toujours sans réponse :

Où était la police ?

Où étaient les services de renseignement ?

Qui a réellement permis cette opération sans résistance ?

Et surtout : qui avait intérêt à voir Jovenel disparaître ?

Un complot bien plus large ?

Depuis le début, l’idée d’un simple groupe de mercenaires colombiens ne convainc pas. Les faits semblent pointer vers un crime politique d’une complexité inédite, mêlant des intérêts haïtiens, économiques, et géopolitiques. Pourtant, aucune autorité nationale ou internationale n’a offert de version cohérente.

Pendant ce temps, certaines figures de l’ancien régime affichent le portrait de Jovenel Moïse dans leurs bureaux. Sincérité ou simple stratégie de réhabilitation ?

“On a voulu tuer Jovenel trois fois” – Claude Joseph

À l’occasion de l’inauguration d’une salle de conférence baptisée au nom du défunt président, Claude Joseph, aujourd’hui à la tête du parti EDE, a livré un discours percutant :

« Il y a eu trois assassinats : d’abord celui de son caractère, ensuite celui de son corps, et aujourd’hui, celui de sa mémoire. »

« L’inauguration de cette salle est un acte de résistance. Nous ne laisserons pas assassiner sa mémoire. Que cet espace devienne un lieu de réflexion sur ses idéaux et la continuité de ses combats. »

Une famille silencieuse, une veuve en retrait

Joverlein Moïse, fils aîné de l’ancien président, reste le seul membre de la famille à s’exprimer publiquement. Il affirme avoir lui-même été visé le jour du drame, alors qu’il tentait de rejoindre l’ambassade américaine. Ses frères et sœurs, tous majeurs, gardent le silence.

Quant à Martine Moïse, sa présence en Haïti se fait toujours attendre. Bien qu’accusée dans l’instruction, elle n’a jamais répondu aux convocations du juge Voltaire. Pourquoi ce silence prolongé ? Pourquoi refuse-t-elle de se présenter devant la justice de son pays, quatre ans après les faits ?

Que cache l’absence persistante de la veuve de Jovenel ? Est-elle protégée, ou cherche-t-elle à se protéger ?

L’État, complice par inaction ?

L’État haïtien a-t-il failli à son devoir de vérité et de justice ? Depuis 2021, chaque avancée est freinée par des intérêts obscurs, des pressions politiques, ou des manœuvres diplomatiques. L’impunité est devenue la norme.

Et pendant ce temps, un refrain cynique résonne dans les rues :

« Depi Jovenel ale, peyi a pral byen mache. »

Une phrase lourde de sens, qui révèle à quel point la disparition du président a été perçue par certains comme un soulagement. Mais cette “normalité” retrouvée n’est-elle pas, en réalité, un écran de fumée pour éviter d’affronter les vrais coupables ?

Et maintenant, où en est Haïti ?

Le pays va-t-il réellement mieux depuis la mort de Jovenel Moïse ?

Ou bien s’est-il enfoncé davantage dans la violence, la corruption et l’instabilité ?

Ce 7 juillet 2025, aucune cérémonie n’a eu lieu au Champ de Mars, espace historique du pouvoir, désormais sous le contrôle de groupes armés. L’État a-t-il négocié avec ces gangs pour éviter la confrontation ? Ce silence territorial est plus qu’un symbole : c’est la preuve d’un État absent de ses propres lieux de mémoire.

Un anniversaire, un verdict moral

Tant que les coupables ne seront pas jugés, tant que la justice ne nommera pas clairement les responsabilités, le nom de Jovenel Moïse restera un fardeau pour la conscience nationale. Non pas comme un héros, mais comme un rappel que, dans ce pays, même les présidents peuvent être tués sans conséquence.