Port-au-Prince, vendredi 02 mai 2025 – Haïti est, par essence, un pays à vocation agricole. Ses terres fertiles, son climat favorable et sa tradition paysanne font de l’agriculture un secteur stratégique. Elle contribue à environ 25 % du PIB national et fournit près de la moitié des emplois du pays. Et pourtant, ce pilier de l’économie est délaissé, sous-investi, et marginalisé dans les choix politiques. Loin des projecteurs médiatiques, c’est un secteur qui se meurt dans l’indifférence, alors qu’il pourrait être la clé de la souveraineté alimentaire du pays.

Des zones agricoles emblématiques à l’abandon
Des régions comme Kenscoff, célèbre pour ses légumes de montagne ; l’Artibonite, grenier à riz de la nation et d’autres zones très réputées en matière de production alimentaire, pourraient nourrir une bonne partie de la population. Mais ces zones sont aujourd’hui enclavées, isolées par des barrages routiers illégaux, la délinquance armée et l’insécurité qui bloque le transport de leurs produits vers les centres urbains, en particulier Port-au-Prince. Le paysan récolte, mais ne peut plus vendre. Le marché est pris en otage.
Un secteur vital, mais sacrifié
Le ministère de l’Agriculture est affaibli, sans vision ni moyens. Sans technologies, formation, infrastructures ni appui technique, la productivité s’effondre. L’exode rural s’accélère, les bidonvilles gonflent et l’insécurité s’enracine. L’État a déserté les campagnes, et avec lui, toute perspective de relance.
Une production nationale à genoux
Les paysans haïtiens travaillent avec des outils du passé, sans irrigation, engrais, semences de qualité ni soutien financier. Le système bancaire refuse de les financer, les laissant dépendre de l’usure ou de la chance. L’agriculture vivrière s’effondre, l’importation explose, la faim s’installe.
Pendant qu’Haïti s’enlise dans la guerre contre les gangs, la guerre contre la faim est abandonnée Tandis que les fusils crépitent dans les rues, c’est un autre fléau, tout aussi ravageur, qui ronge Haïti dans le silence : la faim. Plus de la moitié de la population vit dans l’insécurité alimentaire, mais pour les dirigeants, nourrir le peuple ne semble plus être une priorité.
Un budget de guerre, mais pas pour nourrir
Le gouvernement, occupé à maquiller la misère avec un budget rectificatif, prétend investir dans l’agriculture. Sur les 12,6 milliards de gourdes alloués au Ministère de l’Agriculture (MARNDR), 10,3 milliards sont destinés aux investissements. Derrière ces chiffres alléchants se cache une réalité crue : ces fonds ressemblent davantage à une manœuvre politique pour satisfaire des alliés tapis dans l’ombre qu’à une véritable politique de relance agricole. Combien de ces fonds atteindront les champs, les producteurs, les coopératives ?
Et pourtant, l’agriculture est la solution
L’insécurité qui ravage les villes est dramatique, mais celle qui frappe les campagnes est tout aussi explosive. Sans transformation structurelle, les zones rurales continueront de s’appauvrir. En écoutant les paysans, en construisant avec eux des solutions adaptées à leurs réalités, Haïti peut rebâtir une économie solide, durable et résiliente.

1er mai : fête de l’ agriculture et du travail
Ce 1er mai, journée des travailleurs et de la paysannerie, aurait dû marquer un tournant. Dans un pays où l’agriculture est l’un des derniers remparts contre la faim, ce « budget de guerre » ne tient pas compte d’un élément fondamental : la sécurité. Comment parler de production quand les terres fertiles sont contrôlées par des gangs ? Comment relancer la campagne printanière quand les producteurs fuient l’Artibonite – jadis grenier d’Haïti – pour sauver leur peau ? Pour beaucoup, le silence des autorités sonne comme un abandon. Ce 1er mai pourrait bien être l’occasion d’annoncer une réforme agraire, un plan d’investissement rural ambitieux et un pacte de souveraineté alimentaire.