AYITI AN AVAN

Portrait de Toussaint Louverture, à gauche; femme haïtienne protestant dans les rues, à droite.

Un homme, une mission, une Nation

Port-au-Prince, lundi 7 avril 2025 — Ce 7 avril marque les 222 ans de la disparition tragique de François Dominique Toussaint Louverture, figure de proue de la lutte contre l’esclavage, mort dans la glaciale solitude du fort de Joux en France en avril 1803. Toussaint Louverture est reconnu comme le précurseur de la révolution haïtienne, ayant pavé la voie à l’émancipation du peuple noir et à la naissance d’Haïti. Gouverneur, stratège, homme d’État, Louverture n’a pas seulement marqué l’histoire d’Haïti : il a marqué l’Histoire Universelle. Sa vie est enseignée dans les plus grandes universités du monde, tant son destin a transcendé les frontières et les générations.

Né esclave en 1743 sur la plantation Bréda au Haut-du-Cap, devient affranchi à l’âge de 33 ans avant de devenir propriétaire terrien. En 1791, il rejoint l’insurrection d’esclaves déclenchée lors de la cérémonie du Bois Caïman. D’abord allié des Espagnols, il rallie la République française après l’abolition de l’esclavage en 1794. Devenu général puis gouverneur en 1798, il incarne la montée d’un espoir : celui d’une liberté consolidée et d’un peuple debout.

« Je suis né esclave, mais la nature m’a donné une âme d’homme libre. » a-t-il déclaré.

L’éclaireur de la liberté

Autoritaire mais lucide, Louverture comprend que la liberté doit s’accompagner d’ordre et d’organisation. Il entreprend la relance de l’économie sucrière tout en renforçant les acquis révolutionnaires. Il affronte André Rigaud lors d’une guerre civile entre 1799 et 1800 et, en 1801, il fait adopter une constitution autonomiste tout en annexant la partie espagnole de l’île, défiant ainsi Napoléon Bonaparte.

La réponse de Paris est brutale. En 1802, une armée de 25 000 hommes est envoyée pour briser cette autonomie. Trahi, capturé et déporté, Toussaint Louverture est enfermé dans le fort de Joux où, isolé, affamé, gelé et abandonné, il rend l’âme en avril 1803. Mais ses mots résonnent encore : « En me renversant, on n’a abattu que le tronc de l’arbre de la liberté. Il repoussera par les racines. » Et il avait raison.

Un fantôme immortel

Dans La Cohée du Lamentin, Édouard Glissant évoque le fantôme de Toussaint errant dans les remparts du fort de Joux. Figure spectrale mais vivante, Louverture ne cesse d’inspirer. Sa mort, loin d’éteindre la révolution, ravive le brasier. Et le miracle s’accomplit. Le 1er janvier 1804, après la défaite des armées françaises, Dessalines proclame l’indépendance de Saint-Domingue, rebaptisée Haïti — première République noire libre au monde.

Toussaint Louverture, bien que mort avant de voir l’aboutissement de son combat, demeure l’annonciateur de cette indépendance. Il transforma une rébellion en Révolution, une colonie en État en devenir, un peuple opprimé en peuple debout.

Une reconnaissance internationale

Les actes et les décisions de Louverture continuent d’inspirer penseurs, chercheurs, historiens. Surnommé le « Spartacus noir », il est étudié sur tous les continents. En 2010, une reconnaissance tardive mais symbolique vient d’être posée à Québec : une statue en bronze de 2,5 m, réalisée par le sculpteur haïtien Aniocles Grégoire, a été érigée place des Amériques. Le député québécois Emmanuel Dubourg, d’origine haïtienne, a salué l’événement : « Je suis heureux que sa mémoire soit reconnue et sa statue accueillie dans la belle ville de Québec, siège officiel de nos institutions démocratiques ».

Un héritage trahi ?

Aujourd’hui, alors que le pays qu’il a contribué à libérer s’effondre sous le poids du chaos, Toussaint Louverture interpelle. Que faites-vous de son héritage ? Lui qui fit d’une colonie un État, d’un peuple asservi une Nation, mérite bien plus que des discours creux. Il laisse un modèle de rigueur, de courage, de leadership visionnaire. Où sont les héritiers du courage de Toussaint Louverture ? Qui osera affronter les nouvelles formes de colonisation : la dépendance internationale, l’exploitation politique, et le règne des gangs ? Qui prendra le flambeau de la reconstruction nationale, non par des mots, mais par des actes ? Quand cessez-vous de négocier votre souveraineté dans des salons étrangers ?

Refuser le déclin, retrouver l’idéal

Il ne s’agit plus de commémorer Toussaint Louverture. Il s’agit d’être à sa hauteur. Le pays qu’il a mis au monde est aujourd’hui une invitation au pessimisme. Et pourtant, tout n’est pas perdu. En refusant la fatalité, en renouant avec le courage collectif, vous pouvez encore faire refleurir cet arbre de liberté dont il a planté les racines.