AYITI AN AVAN

Emmanuel Macron, sceptique, regarde des politiciens haïtiens tendant un bol, tandis qu’il pose la question : « Qui va gérer les milliards ? »
Image générée par intelligence artificielle (DALL·E).

Port-au-Prince, jeudi 17 avril 2025 – En 1825, le roi de France Charles X impose à la première République noire indépendante une rançon de 150 millions de francs or pour prix de son indépendance. Cette somme devait compenser les pertes des colons français après la révolution et l’abolition de l’esclavage. Pour rembourser cette “dette”, Haïti contracte un emprunt auprès de banques françaises, prolongé par les intérêts bancaires, constituant une double dette qui va étrangler l’économie haïtienne de 1825 à 1952. De la menace militaire à la spoliation économique, cette injustice coloniale est aujourd’hui documentée, chiffrée et dénoncée comme un vol historique.

Une victoire noire, un prix blanc

Au tournant du XIXe siècle, Saint-Domingue était la colonie la plus lucrative du monde. Elle assurait 40 % du sucre et 60 % du café consommés en Europe, au prix de la souffrance de près d’un demi-million d’Africains réduits en esclavage. En 1804, après 13 années de lutte féroce, Haïti déclare son indépendance en infligeant une défaite humiliante à Napoléon. Mais cette victoire anticoloniale, unique dans l’histoire, n’est jamais reconnue par les grandes puissances.

1825 : La liberté contre une rançon

Le 17 avril 1825, Charles X signe une ordonnance imposant à Haïti de verser 150 millions de francs or pour obtenir une reconnaissance officielle de son indépendance. En parallèle, une flotte de guerre française mouille au large de Port-au-Prince, prête à attaquer si le président Jean-Pierre Boyer refuse. Pris au piège, Haïti accepte.

Cette somme représente plus de 300 % du PIB haïtien de l’époque. N’ayant pas les moyens de payer, Haïti contracte un premier emprunt en 1825 auprès de banques françaises, avec des taux d’intérêts exorbitants. Ainsi naît ce que les historiens nommeront plus tard la double dette de l’indépendance.

Des intérêts à vie : une spirale coloniale

L’ordonnance de 1825 ne s’arrête pas à l’indemnisation : elle impose aussi une réduction de 50 % des droits de douane pour les navires français, affaiblissant durablement l’économie nationale. La dette devient un système de domination déguisée, drainant les richesses du pays vers l’ancienne métropole.

Cette politique est dénoncée dans l’enquête du New York Times, qui retrace les conséquences profondes de cette extorsion sur plusieurs générations.

1880 : La Banque nationale d’Haïti, cheval de Troie du néocolonialisme

En 1880, la France crée la Banque nationale d’Haïti, officiellement haïtienne, mais en réalité dirigée par le Crédit Industriel et Commercial (CIC), une banque française.

Cette banque contrôle le Trésor public : chaque dépôt ou retrait effectué par l’État haïtien implique des commissions prélevées à Paris. En 1911, il est révélé que sur chaque 3 dollars collectés sur les exportations de café, 2,53 vont aux créanciers étrangers. L’État ne conserve qu’une fraction infime de ses ressources.

Ce n’est qu’en 1952 que le dernier versement lié à cette dette est effectué. Pendant plus d’un siècle, Haïti a remboursé une dette qu’elle n’a jamais contractée volontairement.

Un appauvrissement planifié

Loin d’être une conséquence de la seule malgouvernance, la pauvreté d’Haïti est le résultat d’un système colonial reconverti en pillage économique moderne. Comme le souligne l’économiste Thomas Piketty, il s’agit d’un “néocolonialisme par la dette”.

Haïti a été punie pour avoir osé être libre, et tenue à l’écart du commerce mondial par des mécanismes financiers léthaux. Chaque franc versé à Paris était un franc en moins pour les écoles, les routes, la santé ou l’industrie.

21 à 115 milliards de dollars volés à Haïti

L’enquête du New York Times révèle que la double dette a coûté à Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars sur deux siècles. Un appauvrissement systémique, orchestré par l’État français et ses partenaires bancaires, au nom d’une dette illégitime. Ces pertes sont équivalentes à plusieurs décennies de budgets nationaux.

Une mémoire à réveiller, une lutte à poursuivre

La double dette de l’indépendance n’est pas qu’un fait du passé. C’est une plaie ouverte dans la mémoire collective haïtienne, un frein encore actif au développement. Elle révèle les fondations inégalitaires du système mondial et la continuité des rapports de domination post-coloniaux.

La vérité est désormais documentée, les preuves sont accessibles. Haïti ne doit rien. C’est le monde qui lui doit.

Une injustice historique, toujours sans réparation

Ce jeudi 17 avril 2025 marque le bicentenaire de l’ordonnance de Charles X. À cette occasion, des historiens, militants et économistes demandent à la France de reconnaître cette injustice historique, mais définir des modalités de remboursement de cette dette est aussi important. Le président Emmanuel Macron a lancé un appel pour instituer une commission pour “regarder l’histoire en face”.

Une réunion diplomatique a été organisée à la Villa d’Accueil sur la restitution de la dette. Mais des questions brûlent des lèvres : peut-on vraiment faire confiance au CPT pour gérer des milliards ? Ont-ils un plan clair pour utiliser cet argent ? Qui garantit que cet argent ne disparaîtra pas dans les mêmes zones d’ombre que les fonds PetroCaribe ? À qui irait réellement cet argent si la France acceptait de payer ?