Jeudi 16 Octobre – Depuis quelques semaines, le Pérou traverse une grave crise politique. Né d’un mouvement citoyen initié sur les réseaux sociaux par la Génération Z, des milliers de jeunes ont investi les rues pour réclamer de meilleures conditions de vie. La génération Z et la société en générale, ne font plus confiance aux autorités et demandent des comptes. Ils utilisent des applications comme Tik tok, Instagram ou X pour protester simultanément dans plusieurs villes.

Une génération livrée à elle-même
La génération des moins de 30 ans représente au Pérou le quart des électeurs. C’est une démographie importante. Lors des élections présidentielles prévues au printemps 2026, 2,5 millions d’entre eux voteront pour la première fois. C’est également une génération très connectée et très informée. Le digital occupe une place importante dans leur vie, leur mouvement est né et s’organise sur les réseaux sociaux.
Leur mouvement est marqué par l’utilisation d’ un drapeau de One Piece, le manga le plus vendu de l’histoire. Les jeunes s’associent au héros Luffy, et se voient comme des héros qui résistent au groupe dominant. Dans le cas présent, il s’agit de l’élite politique.
La société péruvienne face à une criminalité sans précédent
L’insécurité a connu un pic qui a engendré chez la population un sentiment de révolte. Entre janvier et août, selon la RPP, près de 180 chauffeurs de taxi moto, taxi ou bus ont été assassinés. Sur la même période, près de 6 041 personnes ont été tuées, ce qui représente le chiffre le plus élevé depuis 2017 selon les sources officielles. Les plaintes concernant l’extorsion ont quant à elles bondi de 28 % comparé à 2024. Ce qui donne un total de 15 989 rien que sur les sept premiers mois de l’année.
Cette hausse sans précédent de la criminalité, avec un flot d’extorsions, d’assassinats visent plusieurs catégories. Des chauffeurs, des artistes, et d’autres milieux de la société ont été visés. Ce qui a suscité un sentiment d’abandon généralisé chez la population. Leurs réclamations portent sur différents sujets :
- Le rejet de la normalisation de la violence (plus de morts scandent-ils);
- Une réforme du système politique jugé corrompu;
- Une justice sociale et une sécurité citoyenne.
La classe politique mise à l’épreuve
Cette situation de crise a occasionné la destitution de la présidente Dina Boluarte, qui était très impopulaire depuis quelques temps selon les sondages. Invoquant comme motif l’incapacité morale permanente, le Congrès a voté sa destitution le 9 octobre. Ce motif se base sur des accusations d’enrichissement illégal, de scandale comme celui du Rolex Gate (acquisition de montres de luxe non déclarées). Mais aussi de son incapacité à contrecarrer le taux de criminalité grandissant.
A la suite de cette destitution, le président du Congrès, José Jeri, est devenu président intérimaire. Jeri a promis une main ferme contre la criminalité. Il doit rester en fonction jusqu’en juillet 2026, date à laquelle un nouveau président sera élu. La nomination de ce nouveau président, loin d’apporter une solution, a mis le feu au poudre. En effet, dû à son passé, le discours du président intérimaire peine à convaincre. Il a été accusé de viol et d’enrichissement illicites, alors même qu’il siégeait à la commission du budget et du parlement. Certes, l’accusation de viol a été classé sans suite, mais un tel profil reste symboliquement lourd.
Et comme si cela ne suffisait pas, il a nommé un premier ministre, Ernesto Alvarez, qui compare les manifestants de la Gen Z aux terroristes. Une analogie qui creuse l’écart entre les jeunes et les leaders politques.
La nomination de Jeri a créé un sentiment de continuité de l’élite pourrie chez les manifestants. Symbole d’un système politique inactif, incompétent mais fermé et auto référentiel. Ce mercredi 15 octobre, des milliers de Péruviens se sont rendus à Lima, à Cusco, à Puno ou encore à Arequipa pour exiger le départ du nouveau président. Ni Boluarte, ni Jeri, clament les manifestants.
La protestation a également été marquée par des jeunes féministes qui appellent à ne pas mettre un violeur au pouvoir. Elles revendiquent aussi contre un Etat autoritaire, qui agresse les femmes depuis des décennies. La plupart sont des filles ou des petites filles des femmes, qui ont été stérilisées de force sous Alberto Fujimori réclamant justice.
Des revendications marquées par le sang
Avec un début plutôt pacifique, les manifestation ont tourné à la violence. Des barrières sont brûlées, et des pierres lancées contre les policiers. Des centaines de personnes ont été bléssés à Lima, parmi eux des représentants des forces de l’ordre. Un jeune homme a également été tué dans des circonstances encore non éclaircies. Quoique pour l’ONG Coordinadora Nacional de Derechos Humanos (CNDDHH), c’est un policier civil qui aurait tiré sur le jeune homme.
Une situation qui a poussé le Chef de l’Etat à réagir. « Je déplore la mort d’Eduardo Ruiz Sanz, 32 ans », a écrit sur X le président péruvien intérimaire. Une enquête est ouverte par le parquet afin de déterminer la cause de sa mort. Le parquet de Lima a ouvert une enquête sur sa mort. Les autorités recensent 113 blessés, dont 84 policiers et 29 civils.
Le Pérou face à une faillite des institutions publiques
Selon la professeure d’études latino-américaine à CY Cergy Paris Université, Lissell Quiroz, la colère populaire que vit le Pérou actuellement s’explique par l’incapacité des pouvoirs publics à offrir le moindre espoir. En dix ans, dit-elle, le Pérou a connu huit présidents, presque tous impliqués dans des affaires de corruption ou de violation des droits humains. Cette génération ne fait qu’exprimer les dysfonctionnements et le malaise structurel de tout le pays, estime t-elle.
Alejandro Revilla, un membre du collectif de jeunes leaders pour le Pérou, a déclaré auprès d’El País : “ Nous ne pouvons pas permettre à Géry, accusé de corruption et de viol, de nous représenter.
Selon le politologue et membre de l’unité sud-globale à la London School of Economics, Gaspard Estrada, “la multiplication des scandales et des procédures judiciaires contre les présidents successifs a considérablement affaibli l’exécutif.” Les sondages donnent une très mauvaise perception du parlement par la société péruvienne. Pour certains, le vrai problème du pays réside au sein même du parlement. Jorge Falcon, un architecte de 26 ans affirme au micro de l’AFP que leurs revendications visent autant le président que le parlement. C’est un pouvoir qui est difficile à éliminer, juge t-il.
Un peu partout dans le monde, au Népal, au Maroc, ou au Madagascar, la génération Z ne cesse de se soulever. Face à des dirigeants corrompus et incompétents, ils réclament un autre train de vie. Formée et très informée, c’est une génération qui ne veut plus être la proie de dirigeants incapables, s’enrichissant à leurs dépends.

